Le déroulement de la guerre au Maroc
Dans les années 1930, la communauté juive marocaine connut une période de prospérité caractérisée par le développement économique, la croissance démographique, le renforcement des institutions communautaires et la participation accrue à la vie sociale, culturelle et politique. Les Juifs marocains vivant dans les grandes villes connaissaient la situation des Juifs allemands et la signification de l’accession d’Hitler au pouvoir. Ils savaient que le mouvement sioniste avait lancé une campagne contre les produits allemands, que la presse juive appelait aussi sans cesse à boycotter. A la différence de l’antisémitisme allemand – lequel n’affecta presque pas la communauté marocaine –, l’antisémitisme de la droite française se développa et toucha, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, le Maroc et le Maghreb en général.
Lorsque la guerre éclata, les Juifs marocains se proposèrent de participer à l’effort de guerre aux cotés de la France, comme volontaires pour le service militaire ou par des dons, propositions auxquelles les autorités Françaises ne donnèrent pas suite. L’occupation de la France et l’établissement du régime de Vichy en 1940 s’accompagnèrent de mesures très douloureuses pour eux. En effet, dès octobre 1940, de nombreux décrets antisémites furent promulgués qui excluaient les Juifs de la société française. Le premier concernait le statut juridique des Juifs. Or les Juifs marocains n’étant pas citoyens français, l’impact de ce décret sur eux fut assez négligeable. Toutefois, en excluant les Juifs de diverses professions impliquant des interactions avec les Français, les lois sur le statut de Juifs allaient avoir des répercussions sociales et économiques fortes. Fonctionnaires publics, médecins, banquiers, pharmaciens, journalistes, enseignants, infirmières – autant de postes que les Juifs furent contraints d’abandonner, et ce malgré leur apport considérable dans ces domaines (en plus de leur contribution à la culture française).
Un autre décret instaurait un numerus clausus scolaire limitant le nombre d’enfants juifs dans le système éducatif français à 7% des élèves. L’impact de cette décision sur le quotidien des élèves juifs fut néanmoins assez relatif, d’une part car le nombre des enfants juifs scolarises dans les écoles françaises était plutôt faible, et d’autre part de par l’action de l’Alliance Israélite Universelle qui, bien établie au Maroc avec ses nombreuses écoles, reçut immédiatement les élèves qui avaient été expulsés des écoles françaises.
Un décret supplémentaire prescrivait le recensement obligatoire des Juifs et l’enregistrement de leurs biens dans le but de les nationaliser. Un autre stipulait que les Juifs vivant dans les nouveaux quartiers habités par des Français devaient retourner au mellah, le ghetto juif marocain dans lequel ils avaient vécu avant l’arrivée des Français ; cependant, il est vraisemblable que celui-ci ne fut jamais applique. Un petit nombre de Juifs marocains furent internés dans des camps de travail ou de détention, établis pour la plupart à la frontière entre le Maroc et l’Algérie. Cette mesure ne concernait pas tous les Juifs locaux, mais un groupe précis d’individus représentant une menace pour le régime ou considérés comme tels.
Par ailleurs, le Maroc servit de pays de transit pendant la guerre pour les Juifs européens qui cherchaient à atteindre les Etats-Unis. La communauté juive et les organisations internationales prirent des dispositions pour apporter leur aide à ces réfugiés. Le 7 novembre 1942, dans le cadre de l’opération Torch, les forces américaines débarquèrent sur les côtes marocaines et prirent rapidement le contrôle du pays. Ceci eût deux effets contradictoires. D’une part il apporta à la communauté juive une certaine prospérité économique, les Juifs obtenant du travail dans les forces navales américaines postées dans les ports marocains. D’autre part il entraîna une détérioration des relations entre Juifs et Français.
En effet, le débarquement fut immédiatement suivi d’attaques contre les Juifs dans les grandes villes, qui, fort heureusement, n’entrainèrent pas de pertes en vies humaines. De nombreux Juifs furent harcelés par des officiers militaires français dans différents endroits du Maroc en représailles à l’accueil chaleureux qu’ils firent aux forces américaines. La joie qu’ils éprouvèrent alors se retrouve dans des textes qui furent rédigés principalement en judéo arabe, et qui racontent la victoire des Alliés. Après la guerre, le nationalisme marocain s’accrût, la position de la France dans le monde faiblît et celle-ci commença à pondérer son attitude vis-à-vis des Juifs marocains, permettant notamment une activité sioniste au Maroc et l’émergence du Conseil juif de la Communauté.
L’attitude de Mohammad V pendant la guerre : héroïsme, collaboration ou passivité ?
La maison royale au Maroc maintint une position symbolique tout au long du protectorat français commencé en 1912 ; à cette date, l’héritier du trône, Mohammed ben Youssef, futur Mohammad V, avait seulement trois ans.
Les historiens n’ont pas d’archives ou de preuves directes d’activités d’assistance aux Juifs menées par le roi pendant la période de Vichy. Cependant, une forte tradition s’est développée le présentant comme protecteur des Juifs, ce même si Mohammad V a signé les ordres antisémites de Vichy, comme il entérina tous les autres ordres portés à son approbation dans le cadre de l’accord de parrainage. L’une des histoires appuyant la thèse du soutien de la famille royale aux Juifs est celle de la demande qu’auraient faite les Allemands, que les Juifs portent l’étoile jaune. Le roi “accepta”, à condition qu’on lui prépare 80 badges jaunes. Lorsqu’on lui demanda pourquoi il en avait besoin, il aurait répondu : s’ils portent l’étoile jaune, alors moi et ma famille la porteront aussi.
Seulement, les Allemands, comme nous le savons, n’étaient pas au Maroc et une telle demande n’a donc pu être émise, et encore moins appliquée. Cette histoire aurait-elle pu, toutefois, concerner des membres du gouvernement de Vichy avec lesquels Mohammad V aurait eu des différends ? Faute de preuves, on ne peut constater que d’une chose : le mythe du roi protecteur des Juifs était lancé, et n’a, depuis, cessé d’être entretenu.