Les événements de la guerre en Tunisie
Dans les années trente, les Juifs de Tunisie eurent à faire face à différentes expressions de l’antisémitisme : celui de la droite française, celui du fascisme italien, plus particulièrement à la suite de l’adoption du manifeste de la race paru en italien en novembre 1938, l’antisémitisme local ainsi que de nouvelles expressions antisémites au sein du monde arabe. Bien que le nombre et l’intensité des événements antisémites étaient faibles et peu significatifs, cela a certainement été difficilement ressenti pour la population. Les Juifs de Tunisie, conscients de la situation des juifs d’Europe, de l’arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne et de leurs politiques agressives, ont participé au boycott des produits allemands. Enfin, la réalité en Palestine a influencé négativement les relations judéo-musulmanes.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, les Juifs ressortissants français de Tunisie ont été recrutés et d’autres se sont portés volontaires dans la Légion étrangère afin de contribuer, croyaient-ils, à la victoire de la France et des Alliés dans la guerre. Mais la réalité leur a rapidement sauté au visage. La défaite de la France et la mise en place du régime de Vichy en juin 1940 marquèrent le début d’une période extrêmement douloureuse.
À partir d’octobre 1940, de nombreux décrets antisémites sont publiés dans le but d’exclure les Juifs de l’administration française et de les ramener au statut juridique et aux droits civiques qui avait été les leur avant la conquête française de la Tunisie en 1881. Le premier décret antisémite du régime de Vichy fut la déchéance de la citoyenneté française des juifs et leur exclusion de certaines professions impliquant une interaction avec des français. Employés de la fonction publique, médecins, banquiers, pharmaciens, journalistes, enseignants, infirmières d’hôpital, pour ne citer que ceux-ci, furent contraints d’abandonner leur poste, et ce, malgré leur apport considérable à la France dans tous ces domaines. Le décret ne fut cependant que partiellement appliqué en raison du rôle essentiel des Juifs dans certains domaines tels que la médecine. Dans ce cas précis, l’exclusion des Juifs aurait eu de fâcheuses conséquences sur la santé publique.
Un autre décret instaurait un numerus clausus limitant le nombre d’élèves juifs dans le système éducatif français à 7% des élèves. Par chance, l’Alliance Israélite Universelle, très active en Tunisie, put recueillir dans ses écoles tous les élèves qui avaient été exclus des écoles françaises et éviter ainsi l’interruption de leur scolarité.
Un troisième décret portait sur le recensement obligatoire des Juifs et l’enregistrement de leurs biens afin de les nationaliser.
De plus, les Juifs de Tunisie souffrirent de l’occupation allemande. En effet, la Tunisie fut le seul pays musulman à avoir connu l’occupation sur son territoire ainsi que le contrôle direct des officiers SS. Après le débarquement des forces américaines en novembre 1942, dans le cadre de l’opération Torch et suite à la défaite allemande à El-Alamein, les SS décidèrent d’intervenir militairement en Tunisie et d’occuper le pays afin d’éviter toute déconvenue de leurs forces et celles de leurs alliés Italiens contre les Alliés.
Ainsi, le 17 novembre, les Allemands prirent le contrôle du pays et l’occupèrent pendant six mois. La Tunisie fut donc sur son sol le théâtre de combats sanglants entre Alliés et Allemands. Ces derniers, préoccupés par leur situation et leurs difficultés logistiques, s’efforcèrent de boycotter la communauté juive. Ainsi, en plus de la confiscation de leurs biens, les Juifs se virent imposer le travail obligatoire au profit des forces allemandes. Plus de vingt camps de travail, où des jeunes Juifs ont été détenus, ont été établis durant la période. De très lourdes amendes ont également été imposées aux Juifs. La communauté juive dut s’organiser pour répondre aux exigences allemandes d’une part, et parvenir à subsister en cette heure difficile d’autre part. Ce fut probablement l’une des périodes les plus sombres de l’histoire du judaïsme de Tunisie.
Le développement de la guerre mena à la fin de l’occupation allemande en mai 1943. La communauté juive et ses dirigeants entreprirent de réparer les dommages qui avaient été causés durant cette période. Par ailleurs, la jeunesse juive, qui comprit que son avenir en Tunisie n’était pas sûr, s’organisa dans des mouvements de jeunesse sionistes, dont le rôle principal était d’organiser l’immigration illégale des Juifs vers la Palestine.
Il ne fait donc aucun doute que la période de guerre a été un tournant dans la vie juive de Tunisie.
Le Bey de Tunis durant la Seconde Guerre Mondiale
La période de la seconde guerre mondiale peut être divisée en deux en Tunisie : la période de Vichy qui dura de juin 1940 à novembre 1942 (débarquement des Alliés en Afrique du Nord), suivie de la période allant du débarquement des Alliés à la libération du pays en mai 1943.
Bien que sous le gouvernement de Vichy les Juifs furent soumis aux lois anti-juives, le Bey de Tunis, Ahmed II, qui régna de 1929 jusqu’à sa mort en juin 1942, sut reconnaître l’intégration et la contribution des Juifs à son État. C’est pourquoi il n’appuya pas la politique discriminatoire contre eux dans son pays. Il n’y avait pas d’actions de protestation officielles, mais il continua tout de même à décerner à un certain nombre de Juifs âgés le titre honorifique de Nichan Iftikhar, plus haute décoration donnée par le Bey. Cela signifie qu’il n’a pas changé sa politique envers les Juifs malgré les lois antisémites. Il fut remplacé par Moncef Bey, qui étant âgé et malade, mourut le 15 mai 1943, une semaine après la libération de la Tunisie. Durant la courte période de son règne, il n’autorisa pas les Italiens à annuler le traité du Bardo, qui instaura le protectorat de la France sur la Tunisie. Il fut également indépendant dans ses opinions malgré son âge (61 ans). Dans le cadre de la préservation des intérêts tunisiens, il n’était pas, à notre connaissance, un partenaire de l’activité allemande contre les Juifs de Tunisie.