Souvenirs de la fête de Chavouot 1943

Souvenirs de la fête de Chavouot 1943 passée au sein de la communauté juive de Tripoli par l’aumônier militaire le rabbin Ephraïm Elimelech Urbach:

 

En octobre 1941, quelques temps après le début de la Seconde Guerre mondiale,  le rabbin Ephraïm Elimelch Urbach s’engageait dans l’armée britannique. Il fut tout d’abord envoyé en Egypte, où il servit comme rabbin de la 8ème armée sous le commandement du général Montgomery. Du point du vue administratif, Urbach était sous le commandement de l’aumônerie générale. Il avait les galons de capitaine et disposait d'une voiture avec chauffeur grâce à laquelle il parcourut les déserts de Libye et Tunisie, Malte, la Sicile, et enfin l’Italie.

En raison de sa grande mobilité, le rabbin Urbach rencontra tout au long de son service militaire de nombreux soldats des armées alliées, Juifs et non-Juifs. Il essaya d’apporter son aide à tout ceux qui se tournaient vers lui pour des raisons religieuses, culturelles, personnelles, sociales ou militaires. Il jouait parfois le rôle d’une assistante sociale, plus que celui de rabbin. Il essaya toujours de trouver le juste milieu entre le service de Dieu et le service militaire. Il s’exprimait en public, enseignait la Torah, commentait les fêtes religieuses et discutait de la situation politique en Palestine. Il avait pour coutume d’aller visiter les blessés juifs dans tous les hôpitaux des alentours. Ses écrits commencent par des rapports de travail, concernant ses activités d’alors ; ils relatent ensuite ses impressions sur le déroulé des événements qui faisaient l’essentiel de sa vie.

Au delà de ses actions envers les soldats, le rabbin Urbach eut aussi des contacts avec des Juifs locaux, dont beaucoup souffrirent  de la politique italienne en Tunisie et en Libye, et connurent même l’occupation allemande. Il s’attela à la remise sur pied des communautés, qui pour certaines étaient encore marquées par l’horreur de l’occupation. Il contribua à leur obtenir des vivres , des médicaments et des abris ; il prêta aussi main forte à la création d’une école à Benghazi, et développa les liens entre ces communautés et les communautés en Palestine, ainsi qu’avec les représentants de l’Agence Juive. Enfin, il intervint auprès des pouvoirs militaires pour infléchir, autant que faire ce peut, les décisions administratives concernant les Juifs de Tripoli.

En 1943,  Urbach passa la fête de Chavouot à Tripoli. Voici son témoignage sur l’organisation de l’office dans la synagogue de la communauté :

« Pour Chavouot nous avons organisé quatre prières. Durant la nuit de la fête, il y avait peu de participants. Durant la journée de Chavouot en revanche, la synagogue était pleine à craquer. Il y avait beaucoup de soldats juifs, palestiniens, des armées de l’air et de mer, des anglais et des américains. Levy [Raphael Levy était alors secrétaire d’Urbach] dirigea la prière du matin, moi celle de l’après-midi, et je me suis exprimé en hébreu et en anglais au sujet de la fête de Chavouot, sur le don de la Torah, le lien entre le peuple et la Loi – et sur l’idée nationale et religieuse.

Aux soldats de Palestine j’ai dit qu’il ne fallait pas se contenter du nationalisme, et que la liberté nationale, lorsqu’elle est entravée par le mélange des peuples, ne mérite pas de porter le nom de liberté. Aux anglophones j’ai expliqué que la vie d’un Juif pleine et entière ne pouvait se réaliser qu’en Eretz-Israël. Toutes ces élucubrations sur le rôle d’Israël en exil, divisé et dispersé afin de servir de guide et de professeur, toutes ces choses sont vides de sens. Ce que nous avons offert au monde – la Bible et les commentaires –  est accessible à tous ; que ceux qui veulent en apprendre les leçons le fasse. Mais tout ce que nous avons fait durant le Moyen Age, ça, ce n’est pas tenu pour part de notre don au monde. Peut-être notre présence même au sein des peuples a-t-elle retardé l’assimilation par eux des idées des prophètes. Quoi qu’il en soit, notre devoir est  avant tout de faire pénétrer ces idées en notre sein ; c’est là notre mission principale. Pour cela, il est impératif que nous vivions dans un espace délimité, dans lequel nous pourrons vivre selon notre vision du monde, sans être les sujets d’un autre et toujours contraints de nous justifier des crimes  et des péchés qu’on nous impute fallacieusement. Nous n’avons pas l’intention d’empoisonner la vie et la morale des Nations.

Cela a fait forte impression lorsque j’ai invité un soldat palestinien, Lipshits, un garçon baraqué portant une belle barbe, à porter aux regards de tous les rouleaux de la Torah.

Après la prière j’étais invité chez Farajoun [notable Juif local, intelligent et arabisant], et lorsque je suis rentré dans la maison j’ai trouvé quelques soldats britanniques juifs qui déjeunaient. Je me suis entretenu avec eux et ai été réjoui d’entendre qu’ils avaient apprécié les choses dont je leur avais parlé ; nombre d’entre eux pensaient que les choses auraient changé chez eux pendant leur absence, et qu’à leur retour ils ne pourraient pas recommencer à l’endroit qu’ils avaient quitté. Mais ils ont deux avantages sur les autres. Ils ont appris à se battre, et se battent et se battront pour la justice.

Le deuxième soir de Chavouot sont venus quarante garçons, et le lendemain cinquante personnes. J’étais dans un état bizarre : j’ai prié à la maison et ai mis les phylactères, puis je me suis placé devant la chaire et j’ai récité toute la prière. J’ai ensuite parlé du Livre de Ruth, et de David et de Moïse. »

 

Extrait de : Ephraïm Elimelekh Urbach, Notes de jours de guerre, 1942-1944, Misrad haBitahon, pp. 178-180.